« Avec l’artisanat, on s’assure de la double durabilité du vélo : durabilité d’un vélo de qualité et durabilité d’un choix murement réfléchi »
— Matthieu, 29 ans

Je m’appelle Matthieu, j’ai 29 ans. Je vis à Rouen, après avoir passé une dizaine d’années à Caen, où mon vélo a été conçu et fabriqué par Simon Coulombier l’artisan derrière Cycles Soca. Je suis géographe-climatologue. Je travaille au sein de l’Université de Caen, où je termine ma thèse et j’enseigne.
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours fait du vélo. J’ai des images de moi fonçant à travers la maison sur un tricycle multicolore, me séparant de mes petites roues sur le parking de l’école maternelle (ce qui m’a d’ailleurs valu un belle bosse), dévalant la pente en usant mes pneus devant chez mes parents.

C’est mon arrivée à Caen pour poursuivre mon cursus universitaire qui a marqué un changement dans mon approche. D’un simple loisir, commun à beaucoup d’enfants de la campagne dont je viens, c’est devenu un mode de déplacement du quotidien. Au-delà de l’aspect utilitaire, le vélo m’a permis d’explorer avec mes amis l’agglomération et ses alentours qui nous accueillait pour nos études de géographie. Il faut d’ailleurs souligner que ces divagations, nocturnes pour la plupart, permettaient de mettre en application nos cours sur le terrain. Le vélo est ainsi devenu à la fois un objet et un outil de recherche. Cet intérêt singulier pour le vélo nous a d’ailleurs poussé à axer notre projet de fin d’étude sur la question des mobilités à Jersey.
C’est à cette occasion que j’ai pu essayer pour la première fois un Brompton, ce petit vélo pliant, fabriqué à la main à Londres. Quelques mois plus tard, un Brompton, tout ce qu’il y a de plus acier, attendait plié dans mon salon. C’était mes premiers tours de roues avec un vélo dont l’esprit reste, selon moi, artisanal.

« Je fais partie des gens qui donnent des noms à leurs vélos »

À l’époque de l’arrivée de Paddington. Il est baptisé du nom d’un célèbre petit ourson, lui-même baptisé du nom d’une gare londonienne, dont le Brompton est originaire. Ca me permet de faire un clin d’œil à la multimodalité permise par ce Tetris de rayons. J’avais eu du mal à ne choisir qu’un seul vélo.
Attiré par certains matériaux comme l’acier ou le titane, la multimodalité, ou bien des vélos quelque peu étranges comme le Moulton, un autre vélo anglais à petites roues, j’envisageais déjà la voie de la fabrication sur-mesure.
Ce choix du Brompton a clairement ancré ma pratique dans le quotidien, puisque dans le processus, je me suis séparé d’un vélo de route classique, en carbone, et avec un boitier de pédalier press-fit … Sa petite taille ne m’a pas pour autant empêché de le pousser sur les routes escarpées du Cotentin et de la Hague que j’ai parcourues pour mes recherches. Il faut tout de même reconnaître que je sortais de plus en plus de sa zone de confort. C’est le fait que l’on passait de plus en plus de temps à randonner et à bivouaquer qui m’a poussé à envisager un vélo plus adapté à ces nouveaux chemins. La redécouverte des vélos « gravel » en Europe, sorte de randonneuse réactualisée, m’a beaucoup intéressé. J’avais en tête un vélo capable de m’accompagner partout dans la découverte d’espaces plus ou moins proches, plus ou moins reculé, car finalement je ne suis pas un fondu du vélo en tant que sport de performance. J’aime ce qu’il permet de faire : échanger, explorer, glisser en silence, jouer !

C’est ainsi que Puff (en référence au dragon magique de la chanson éponyme de Peter, Paul & Mary) a été brasé par Simon des Cycles SOCA. C’est un vélo qui se rapproche des randonneuses d’autrefois, rebaptisé gravel ces dernières années. Il est sans doute entre les deux, ce n’est pas un gravel orienté performance, l’idée initiale n’étant pas de manger du kilomètre le plus rapidement possible, mais de profiter du voyage.
Autour du cadre de Simon fabriqué à partir de tubes Dedacciai Uno et peint par Paul, de Paul’s Workshop, on retrouve des roues de 650B surmonté de pneus Hutchinson Touareg en 47 de section, tout à fait adapté à l’exploration des routes secondaires et des chemins en terre de Normandie, dont je savoure le calme et le silence.

« La peinture, composé de points, de lignes et de surface sont des rappels au éléments de base composant les cartes »

Les couleurs du vélo rappellent quant à elles, des éléments de la Normandie, les falaises de la Côte d’Albâtre, les caramels d’Isigny, l’automne dans les forêts normandes ...
Le moyeu arrière est un moyeu Aivee venant de Vendée. À l’avant le classique moyeu dynamo Son alimente l’éclairage du fabricant allemand et un petit chargeur USB venant d’Australie, le kLite Micro (choisi sur les conseils de Guillaume de la Roue Dynamo). Un mélange de pièces Sram et Hope permettent de faire avancer le vélo. À l’avant des manettes SRAM APEX contrôlant des freins hydraulique double pistons ainsi qu’un dérailleur arrière Sram GX faisant grimper la chaîne le long d’une cassette 12 vitesses, 10-52.
Côté transmission, un pédalier du fabricant anglais Hope, avec un plateau de 38 dents, des pédales plates Look (pour pouvoir poser pied à terre au moindre prétexte). Le poste de pilotage est composé d’un jeu de direction Hope, guidon et potence Ritchey.
Des composants Alsaciens sont aussi présents sur le vélo avec Starbar qui fabrique la tige de selle en aluminium et les Cycles Manivelle pour les portes bidons et les cages de fourche qu’on monte comme un jeu de lego.

« Le caractère singulier du vélo, le montage à la carte et la peinture unique ont été autant de raisons qui m’ont poussé à me lancer dans ce cheminement »

Trois choses continuent, une fois sur le vélo, de me rappeler pourquoi j’ai bien fait de me tourner vers la fabrication artisanale.
La première, et c’est peut-être paradoxal, c’est que j’oublie le vélo sur lequel je roule. Il correspond à mes pratiques et à ma morphologie ce qui fait qu’il se fait oublier pour me permettre de me concentrer sur ce qui m’intéresse le plus (notamment dans les montées), le paysage.
Deuxièmement, le fait d’avoir échangé avec Simon et d’avoir pu suivre son montage a permis de sélectionner des composants dont une grande partie vient d’Europe et de connaître le vélo sous toutes les coutures. Cela apporte une forme de sérénité lorsqu’il s’agit de l’entretenir puisqu’on ne découvre pas le vélo, on le connaît déjà. Enfin, l’attention portée par Simon aux petits détails, qui n’ont l’air de rien ou qui passe inaperçus au premier regard, révèle une vraie connaissance du vélo dans son utilisation de sa part, car seul, on n’y penserait jamais. Il réussit à les intégrer avec soin et précision pour que l’ensemble soit beau et facile à vivre.

« Les artisans mettent à profit leurs expériences et leurs idées pour accompagner le cheminement, de la réflexion jusqu’à la réalisation du vélo »

L’idée que je me faisais du prix d’un vélo sur mesure a été une des raisons, avec mon ignorance de la proximité géographique de SOCA, qui m’a conduit à écarter (trop) rapidement cette possibilité. Mais le fait de devoir dans tous les cas m’orienter vers un montage à la carte a fait que la différence de prix n’était pas si importante que ça. Surtout si l’on prend en compte le fait qu’avec un vélo artisanal, il n’y aurait pas de compromis et que celui-ci sera fabriqué pas très loin de chez soi.

Si je devais donner un conseil à quelqu’un qui souhaite rouler avec un vélo artisanal c’est de ne pas hésiter à franchir le pas. Personnellement j’étais arrivé avec une idée assez précise en tête car j’avais eu le temps de réfléchir à mes besoins avant de rencontrer Simon. Mais même si l’idée est plus floue, les artisans comme Simon sont là pour aider. Ils mettent à profit leurs expériences et leurs idées pour accompagner le cheminement, de la réflexion jusqu’à la réalisation. L’aventure est quelque peu déroutante, on ne peut pas essayer un vélo sur mesure avant qu’il soit complètement fini. La temporalité est différente d’un vélo ou d’un magasin de cycle classique où l’on peut toujours trouver un moyen d’essayer le modèle que l’on envisage. Il faut donc faire confiance à l’artisan, à son savoir-faire et faire preuve de patience avant de pouvoir enfin enfourcher le résultat. Et même si pour certains usages, il est possible de trouver un vélo prêt à rouler, il laisse parfois une impression de compromis. Si c’est le cas, alors la piste de l’artisanal est à envisager que ça soit pour un vélo en entier, un cadre ou parfois même un accessoire comme un porte bagage par exemple. En passant par ce processus, on s’assure de la double durabilité de ce vélo : durabilité d’un vélo de qualité et durabilité d’un choix murement réfléchi.

Remerciements et crédit photos Matthieu et Cycles Soca

CYCLES SOCA - artisan du cycle à Caen (Normandie) - www.cycles-soca.fr

Mon vélo d'artisan fabriqué en France